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L’éthique est l’un des piliers d’une organisation achats

A l’heure où le développement durable focalise toutes les attentions, l’éthique n’apparaît pas elle sous le feu des projecteurs. Dans cet article, on revient sur ce décalage entre deux notions indissociables. 

On parle beaucoup aujourd’hui de développement durable dans l’univers des Achats, beaucoup moins d’éthique ? Pour quelles raisons ?

D’abord parce qu’on a souvent du mal à les concilier et à considérer que l’un n’ira pas sans l’autre. Les deux ont pourtant trait à une même dynamique qui est celle du développement et de la préservation des ressources naturelles et des grands équilibres sociétaux de notre planète. Je pense pour ma part qu’on ne peut pas avoir de développement durable sans une éthique personnelle et globale soutenue. A contrario, on ne peut pas non plus prétendre faire de l’éthique sans avoir une pensée émue pour le développement durable.

La seconde grande raison, est que le développement durable est aujourd’hui au cœur de toutes les discussions dans les forums internationaux, sur Internet, dans les entreprises, à l’ONU…, alors que l’éthique est un sujet sous-jacent considéré comme moins sexy parce que moins facilement matérialisable. Elle a en effet trait à l’individu et à sa conscience personnelle qu’on ne sait pas toujours très bien exprimer. D’autant que l’éthique personnelle se révèle souvent à géométrie variable. Alors quand il s’agit de définir ce que doit être l’éthique d’un groupe ou d’une communauté, on ouvre les portes à toutes sortes de discussions et de polémiques. On voit bien dans les entreprises que c’est un sujet important, qui intéresse tout le monde, mais sur lequel personne ne s’avise de prendre d’engagements et de véritables responsabilités.

Que recouvre le vocable éthique dans l’univers des Achats ?

L’éthique est d’abord une histoire de comportement. Elle tourne autour de l’idée que l’acheteur se doit d’afficher un comportement exemplaire en tous lieux et en toutes circonstances. Tant sur son attitude dans sa relation intuitu personae que sur les critères de décision qu’il développe au cours du processus achat. Il se doit de refuser toutes autres contributions que son salaire pour les engagements qu’il prend ou qu’il doit prendre. Cela recouvre aussi le fait que les critères de sélection des fournisseurs se doivent d’être objectifs et absolument pas édulcorés ou masqués par des critères autres que techniques et factuels. Cela touche aussi la capacité à identifier les déviances possibles en interne et en externe sur le plan financier ou humain. C’est sur des sujets comme cela que se retrouvent l’éthique et le développement durable. Il ne suffit pas en effet de marteler que l’on bannit le travail des enfants. Encore faut-il s’assurer que les prestataires observent eux aussi ces règles et ne se livrent en aucun cas, directement ou indirectement, à l’exploitation des enfants. Pas plus que l’on ne reculera devant les exigences de sécurité au motif que les réglementations locales ne les condamnent pas.

Quels sont les risques encourus par une entreprise qui ne respectent pas ces règles ?

Le premier, est le risque d’image. Quand le nom d’une entreprise est associé à un disfonctionnement ou un clash médiatique, on se souvient d’abord de la société qui a eu un comportement non éthique, bien avant celui de l’acheteur. Le deuxième enjeu, est le risque technique ou opérationnel. Se maintenir en dehors du cadre des lois locales ou internationales expose l’entreprise à de graves poursuites judiciaires allant du paiement de fortes pénalités à la contrainte physique de ses représentants. Ce risque peut même entraîner une rupture de la chaîne d’approvisionnement au motif d’enquêtes, de procédures judicaires voire même de cessation de l’activité du fournisseur. Le troisième enjeu est commercial et il est intimement lié aux deux premiers, une image ternie ou une rupture d’approvisionnements peuvent nuire gravement à la capacité de l’entreprise à répondre aux besoins de ses clients qui eux-mêmes expriment de manière de plus en plus précise des exigences auxquelles il convient d’apporter des réponses satisfaisantes et pérennes afin d’assurer une relation commerciale constructive. L’éthique recouvre donc des enjeux absolument majeurs qui ne sont pas ignorés, mais qui sont souvent sous-estimés. Lorsque l’on travaille avec des pays en développement, on observe en effet une certaine tendance à l’égocentrisme de la part des acheteurs qui ont du mal à considérer leurs partenaires comme des égaux. On préfère se draper derrière sa propre auto éthique. Or le plus grand risque de l’éthique, c’est peut-être de ne pas en parler.

Comment l’éthique peut-elle ou doit-elle s’insérer dans une démarche d’achats solidaires ?

Pour ma part, je mets l’éthique au même niveau que les procédures opérationnelles ou les politiques achats car je considère qu’elle est l’un des grands piliers de l’organisation et de la stratégie achats. Je recommande donc toujours de l’intégrer très en amont, dans les process, pour qu’elle figure au cœur de la stratégie achats de l’entreprise. Il importe pour cela mettre très vite en place les quelques règles de base qui définissent les rôles et responsabilités de l’acheteur ainsi que les règles de comportement à adopter à toutes les étapes du processus achat. On peut les compléter en reprenant simplement les valeurs de l’entreprise et les principes applicables sur les appels d’offres, les sélections fournisseurs et la contractualisation… Une fois que ces quelques règles et principes sont en place, il devient beaucoup plus facile pour les acheteurs d’appuyer une démarche d’achats responsables ou de développement durable puisque l’on va simplement étendre ces règles internes de comportement et de responsabilités au monde extérieur. Se faisant, l’entreprise va améliorer son niveau de transparence et de visibilité auprès de ses prestataires et de ses fournisseurs, et ainsi renforcer leur confiance.

Quel est le degré de maturité des entreprises françaises sur le sujet ?

Les grandes entreprises, particulièrement celles qui sont cotées sur les bourses internationales, ont obligation d’avoir un code d’éthique ou un référentiel de valeurs. Elles sont questionnées sur ces points par les agences de notations extra financières mais aussi par les commissaires aux comptes. Ces codes existent donc depuis fort longtemps, mais ce que j’ai pu constater, c’est qu’elles n’ont pas été assez loin dans l’acceptation et la reconnaissance individuelle de ces règles par leurs salariés. Rares sont celles qui font référence à leur code éthique dans leur règlement intérieur ou dans les contrats de travail. Elles ont du mal à afficher une position affirmée et constante. Il leur reste donc encore beaucoup de chemin à parcourir.

Si l’on s’intéresse maintenant aux petites et moyennes entreprises, le paysage c’est quoi ?

Un désert ou une mer morte ! L’objectif premier d’une petite entreprise, c’est de concentrer au maximum ses ressources et ses efforts sur l’essentiel, la production. Et l’éthique n’est pas encore considérée comme telle. Mais tout cela pourrait changer rapidement avec la montée en puissance des agences de notations extra financières. Depuis le début des années 2000, on s’est aperçu au travers de scandales de type Worldcom ou Enron que des sociétés extrêmement bien structurées sur le plan des process et des procédures pouvaient elles aussi avoir des défaillances de comportements humains. Les investisseurs ont été extrêmement échaudés. Beaucoup font donc appel aujourd’hui à ces agences pour auditer les entreprises sur des sujets qui ont aussi trait à l’éthique et au développement durable. Ce nouveau comportement des investisseurs induit un phénomène intéressant chez les entrepreneurs car aujourd’hui, si vous voulez lever des capitaux, trouver des partenaires ou vous développer, vous devez prendre en considération que les fonds d’investissements ou les business angels vont recourir à cette pratique pour minimiser leurs risques. Cela force les entrepreneurs à être très exigeants face aux éléments de présentation, qui ne peuvent plus être basés que sur des ratios financiers.

Pour aider les petites et moyennes entreprises, ne pourrait-on pas leur proposer un label ou une certification éthique ?

Je trouve l’idée pertinente et réalisable, mais je m’en méfierais. D’abord parce que ce serait créer un label de plus et qu’à force de les multiplier, on ne saura plus trop à la fin à quoi ils correspondent. Ensuite parce qu’il existe déjà des labels intéressants qui sont facilement accessibles et qui nécessitent très peu d’investissements, je pense notamment au Global Contact mis en place par les Nations Unies. C’est un label qui est accessible à toutes les entreprises de plus de dix salariés. On peut aisément y souscrire en s’engageant sur les dix valeurs du développement durable définies par l’ONU et en s’engageant sur une communication régulière des actions et des progrès développés dans son entreprise. Pourquoi ne pas considérer que les chambres de commerce, les pôles de compétitivité ou les syndicats professionnels ont eux aussi un rôle à jouer dans ce domaine. Ils sont les lieux de rencontre et d’échanges des entreprises locales et régionales, l’endroit idéal pour partager, échanger et communiquer.

Que répondez-vous à ceux qui vous objectent que l’éthique n’est pas compatible avec la performance économique recherchée aujourd’hui par les entreprises ?

Je leur dirais que c’est faux, que c’est un excellent mauvais prétexte pour manquer de courage et de volonté à afficher sa véritable identité. Pour affirmer cela, il faut vraiment avoir une vision courtermiste de l’entreprise et du monde économique d’aujourd’hui et de demain. Adopter un comportement éthique et faire du développement durable ne coûte pas plus cher que de ne pas en faire, c’est simplement l’expression du comment on va le faire et du pourquoi on le fait. Je dis aussi qu’en adoptant un code de conduite éthique et une politique de développement durable, on travaille sur la pérennité de l’entreprise en renforçant son image en externe et en mobilisant en interne autour de valeurs partagées. Je ne connais pas d’entreprise qui, portant haut ses valeurs et prônant un développement équitable de ses relations commerciales, n’ait pas eu de développement constant et sécurisé de son activité. A contrario, j’en connais certaines qui, se positionnant au-delà des règles de respect dûes aux hommes et aux communautés, ont été rattrapées par la patrouille et fortement sanctionnées. Viser la performance économique en excluant ces principes rendra l’entreprise fragile à moyen terme et fera de ses collaborateurs de véritables mercenaires. Ce n’est pas ce que je souhaite pour mes clients.

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